SENSATION => PENSÉE => ÉMOTION
MESSAGE => DÉCODAGE => SENS
Le message de nos sens n'est pas toujours facile à accueillir spontanément. Sans en être conscient, nous nous coupons souvent de ce que nous ressentons, soit pour nous éviter de la souffrance, soit pour nous sentir en meilleur contrôle sur nous-même (sur nos pulsions ou nos instincts ), soit pour simplement être en accord avec nos principes et croyances qui nous dictent ce qui est correct ou pas de ressentir dans telle ou telle circonstances...
Notre cerveau (conscient et inconscient), avec sa propre logique (rationnelle ou intuitive), a souvent le rôle ingrat de :
- capter un message à partir de ses limitations sensorielles et de faire comme s'il détenait toutes les informations pertinentes ;
- substituer, à une analyse plus poussée de la situation, une pensée automatique qui dictera sans plus attendre un sens à donner à ce qu'il ressent et une action à adopter selon la circonstance.
Ainsi, notre cerveau est un véritable ordinateur qui cherche la facilité et l'économie de moyen. Il déclenche des routines automatisées selon un in-put particulier et obtient un résultat spécifié d'avance (le out-put). En effet, pour toute situation, il peut y avoir un programme approprié... si on l'a déjà écrit auparavant ! Voilà le bogue ! Nous sur-utilisons nos programmes et les appliquons à toutes les sauces parce qu'il nous semble plus ardu et compliqué d'en inventer ou d'en découvrir de nouveaux (pourtant notre cerveau est bourré de ses petits schèmes comportementaux non utilisés de la même manière que votre ordinateur ou l'Internet est truffé de petits bijoux que vous ignorez depuis longtemps). Voici donc venu le temps de chercher ces nouveaux programmes qui sommeillent en vous, à moins que vous préfériez en créer de nouveaux !
Le message
Nos sensations sont multiples parce qu'elles nous proviennent de cinq canaux principaux : la vue, l'ouïs, le goût, l'odorat et le toucher (le kinesthésique). Chaque expérience de notre vie est enregistrée dans notre cerveau par ces cinq canaux, permettant ainsi à une quantité impressionnante d'informations d'être analysées de façon plus ou moins efficace. Plus le in-put sera riche et varié, mieux le out-put sera adapté et bénéfique. Autrement dit, plus notre acuité sensorielle est développée, plus nos réactions émotives et comportementales seront adaptées.
Comme les fondateurs de la PNL (Programmation Neuro-Linguistique), John Grinder et Richard Bandler (voir Cayrol & De Saint-Paul, 1984), Je pense que c'est en décomposant l'expérience sensorielle en ses différents paramètres et en portant successivement son attention sur chacun d'eux que nous pouvons améliorer notre acuité sensorielle. En effet, le modèle de la PNL nous souligne régulièrement l'importance de prendre en compte chacune des composantes de notre expérience sensorielle :
"Lorsqu'un individu est capable d'inclure davantage de distinctions sensorielles dans son expérience du présent, celui-ci prend un relief tout à fait neuf et, comme tout apprentissage, après un certain temps de pratique, cette nouvelle aptitude devient inconsciente et disponible automatiquement." (Derrière la magie, Cayrol & De Saint-Paul, 1984, p. 61).
Prendre en compte veut dire rendre conscient. Et la meilleure façon de prendre conscience de nos expériences sensorielles consiste simplement à les nommer, car ce que nous ne nommons pas émerge rarement à notre conscience.
"En vous aidant de ce vocabulaire pour organiser votre perception, vous pouvez réintroduire dans votre champs de conscience toute une dimension sensorielle qui restait auparavant inexploitée." (Derrière la magie, Cayrol & De Saint-Paul, 1984, p. 61).
Le vocabulaire de la PNL permet de décomposer chacune des modalités sensorielles en submodalités. Ainsi, en ce qui concerne le visuel, nous pouvons décrire notre expérience en terme de forme, taille, couleur, contraste, ombre, lumière, mouvement, perspective, etc. Donc, si vous vous promenez dans les bois en portant, à chaque fois, une attention particulière à ses submodalités visuelles, un changement particulier dans ses submodalités aura tôt fait de vous prévenir de la présence d'un ours, alors qu'une stabilité dans ses submodalités vous permettra de profiter de votre détente. Côté auditif, nous pouvons parler de volume, tonalité, durée, tempo, direction, etc. Nous pensons qu'un coin de la forêt occupé par un ours se différencie subtilement au niveau de ses bruits d'un endroit déserté par celui-ci. Ne serait-il pas plus prudent d'en prendre conscience ? En ce qui concerne l'odorat et le goût, la PNL développe peu ou pas du tout un vocabulaire de submodalités. C'est compréhensible, étant donné que l'utilisation de ses modalités sensorielles est limitée chez l'humain et plutôt réservé à des expériences peu menaçantes, comme celle de reconnaître l'odeur et l'arôme d'un bon café. Pourtant, il serait plus prudent de reconnaître l'odeur de l'ours et le goût de la ciguë...
Revenons maintenant à notre dernier mode sensoriel : le kinesthésique. Je le gardais pour la fin car il m'apparaît le mode sensoriel le plus important quand nous essayons de comprendre une émotion comme l'anxiété. Ces submodalités font donc appel à ce que nous ressentons intérieurement et extérieurement : pression de nos fesses sur la chaise, mouvement, équilibre, température ambiante, douceur du vent ou de la peau contre notre peau, douleur, etc. C'est ici que nous pouvons utiliser le vocabulaire des symptômes physiologiques : rythme cardiaque, étourdissement, bouffée de chaleur, frisson, contraction ou détente musculaire, pression de la vessie, essoufflement, boule dans la gorge, insensibilité, paralysie, etc.
Ce qui est difficile dans le fait de s'arrêter pour prendre conscience de nos sensations, c'est de ne pas céder à la tentation de passer aux autres étapes du processus émotionnel. Il est facile de dire immédiatement qu'on a peur ("J'ai peur, je suis en train de paniquer, je m'énerve pour rien, je suis en danger") lorsque notre coeur s'emballe. Pourtant, il faut faire un effort pour rester au niveau de la sensation ("je sens que mon rythme cardiaque s'accélère"), le temps de prendre en considération les informations qui viennent des autres modes sensoriels ("je vois un corps de déesse, un délicieux parfum m'enivre, j'entends la voix mélodieuse d'un ange)... C'est parfois la seule façon de ne pas passer à côté d'une opportunité plus mémorable que la peur. On aime généralement mieux se rappeler du jour ou on a avoué notre amour sur une plage ensoleillée plutôt que de celui ou on s'est senti en danger face à une horde sauvage d'amazones devant qui on s'est effondré de peur...
Le décodage
Ce segment du processus émotionnel est le plus complexe à décrire car il englobe beaucoup de facteurs importants : habileté intellectuelle, organisation des perceptions, vocabulaire, mémoire, cadre de référence, schème de pensée, trait de caractère, valeurs, croyances, etc. De plus, ces facteurs reliés au décodage sont comme des programmes bourrés de bogues : distorsion cognitive, idée déraisonnable, filtre inhibiteur, encrage, réminiscence traumatique, rigidité du caractère, etc. Éventuellement, des articles porteront sur ces différents facteurs influençant le décodage. Pour l'instant, nous allons nous contenter d'en rester là, pour mettre l'accent sur le point important de cette phase de décodage : le pouvoir de choisir !
Le rôle principal de la pensée est de permettre une réflexion suffisamment longue pour faire un choix libre et éclairé du sens qu'on donnera à notre réalité et de l'action qu'on posera par la suite. À ce stade-ci, l'idée est de faire le plus de liens possible entre nos sensations, nos perceptions, nos mots et nos souvenirs pour en arriver finalement à un consensus interne : un sens aux messages de nos sens...
Le sens
Existe-t-il une "réalité de la réalité ?" comme se le demandait si bien Paul Watzlawick (1976). Y a-t-il une réalité, une véritable réalité ou une seule vérité ? Nous en doutons fortement. De toute façon, quelle en serait l'importance ? Il est plus judicieux de penser que la réalité qui a plus d'impact sur nous est celle que nous construisons nous même ou que nous co-construisons avec les autres. C'est cette réalité qui nous est propre, celle que nous percevons et expérimentons tous les jours, qui a du sens ou plutôt... qui doit faire un sens. Et c'est notre pouvoir de choisir qui nous permet de donner un sens à la vie qui nous plaît et nous permet de continuer à vivre heureux.
Ce libre choix de sens doit être pratiqué le plus souvent possible. Et qui dit choix, dit diversité. Il faut donc posséder un vocabulaire émotionnel très détaillé pour avoir un choix assez large d'émotions qui correspondraient le mieux à notre décodage de la réalité. Jouer avec un lexique des émotions est une excellente façon de se pratiquer à faire des choix sensés. Nous vous suggérons de consulter une liste de mot-émotion (ou de vous en fabriquez une) à laquelle vous ferez des ajouts au fur et à mesure que vous en découvrirez de nouveaux, des synonymes ou d'autres nuances...
Essayez un des deux exercices suivant :
- Centrez-vous d'abord sur vos sensations, puis sur votre réflexion, pour enfin consulté votre liste et choisir le ou les mots qui ont plus de sens.
- Choisissez au hasard un mot-émotion, et tentez d'expérimenter, d'éprouver cette émotion et les sensations qui y sont rattaché.
Vous avez sûrement remarqué que ce deuxième exercice nous permet de réaliser le pouvoir de notre pensée dans le processus émotionnel. Car faire un choix, donner un sens, décider qu'elle émotion nous sommes en train de vivre, suffit dans bien des cas à nous mettre dans un état physiologique particulier. Dans bien des problématiques reliées à l'anxiété (phobie, trouble panique, stress accumulé ou post-traumatique), il suffit souvent de penser qu'on a peur pour avoir vraiment tous les symptômes de la peur.
Cela nous amène à un nouveau schéma du processus émotionnel dans lequel le mot-émotion qu'on a choisi (le sens du message des sens) influence à son tour nos sensations et nos pensées. C'est un véritable processus circulaire qui peut souvent prendre l'allure d'un redoutable cercle vicieux.
SENSATION =>
PENSÉE => ÉMOTION =>
SENSATION => PENSÉE => ÉMOTION =>
SENSATION => PENSÉE =>
ÉMOTION…
Pas étonnant que, d'une expérience à l'autre, nous pouvons nous sentir de plus en plus convaincu de l'émotion qu'on pense vivre. Par exemple, une personne "normale" qui se retrouve dans une file d'attente qui ne bouge pas, sentira peu à peu une tension interne grandissante qu'il interprétera probablement comme de l'impatience, de la frustration liée au fait qu'il a peut-être quelque chose de mieux à faire que d'attendre... Par contre, une personne "agoraphobe" qui a vécu des crises de panique, et qui ressent cette même tension dans une file d'attente conclura rapidement qu'elle est sur le point de paniquer !
C'est pour cette dernière personne que nous avons écrit cet article, dans le but de lui faire réaliser qu'en interprétant différemment ses sensations, elle pourrait vivre des émotions moins traumatisantes... Quoique désagréable, l'impatience sera toujours plus agréable à vivre que la panique !
José St-Louis, M.Ps.
À suivre dans : Anxiété – 4 : Choisir et sauter sur les bonnes occasions de stress.
Fait suite à : Anxiété – 2 : Choisir d'écouter votre messagerie des émotions
Pour aller plus loin, voici quelques moyens pour vous aider à créer votre liste de mots-émotions ou mots-symptômes :
- L'inventaire de ses symptômes de stress, ou le test du mille-pattes, tous les deux tirés du livre de Jacques Lafleur (psychologue) et Robert Béliveau (m.d.) : Les quatre clés de l'équilibre (Éditions Logiques, 1994).